1- Introduction.
Je suis Architecte à Périgueux, je vais donc limiter mon propos à la situation que je connais et dont je fais l’expérience quotidiennement. Exercer en Dordogne c’est faire de l’architecture de campagne, de l’architecture du quotidien, entre les lotisseurs qui veulent vendre des parcelles, les banquiers, les constructeurs de maisons individuelles, les élus qui veulent faire plaisir à leurs administrés pour la prochaine élection et les clients qui veulent en grande majorité une maison plantée au milieu d’une parcelle avec un cordon sanitaire de 3 m entre voisins et une bande de 5 m devant la maison pour garer les voitures.
Nous, architectes responsables, nous qui avons prêté serment de respect de l’intérêt public, nous sommes face à tous ces raisonnements. Mais nous entendons aussi le corps scientifique qui nous alerte sur les problèmes du réchauffement climatique et notamment sur les émission de gaz à effet de serre. Pour ceux qui ne sont pas encore au courant je ne peux que vous encourager à prendre rapidement conscience de ce changement climatique.
La particularité de l’architecte est la projection dans le temps. Quand nous concevons, quand nous construisons, nous devons anticiper le futur. Notre futur va être chaud et nous autres, humains, nous en sommes responsables.
Des études montrent que le bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie finale. Au niveau de l’empreinte carbone française, le logement représente 27 % de l’ensemble des émissions de carbone.
Depuis plusieurs dizaines d’années, on essaye de réduire la consommation d’énergie des bâtiments. Les réglementations thermiques évoluent pour tendre vers le passif qui sera notre prochaine étape. Mais une question demeure aujourd’hui : A quoi peut servir une maison passive au milieu d’un lotissement construit au fond de la campagne lorraine ?
La construction de bâtiments passifs n’est pas le premier chaînon pour construire durablement, il nous faut tout d’abord développer un urbanisme réfléchi qui sera un levier de réduction des gaz à effet de serre du bâtiment mais également des transports. Avec l’urbanisme nous intervenons sur les deux plus gros secteurs émetteurs de CO2.
2- Pour expliquer l’importance de l’urbanisme et d’une politique territoriale intelligente, restons factuels.
Prenons l’exemple d’une famille lorraine habitante d’un petit village. Elle a décidé de construire dans un lotissement qui venait de s’ouvrir pour le cadre de vie. Maman aime le côté bucolique des villages. Papa a été convaincu par le prix du terrain nettement moins cher quand on s’éloigne des centres urbains.
Maman et Papa travaillent, ils ont 3 enfants. 3 filles qui vont à l’école et ont des activités. L’ainée joue de la guitare au club de musique, la cadette pratique l’équitation et la benjamine commence la danse.
Papa travaille en ville. Il part tous les jours à 7h30, fait 39 km, se gare, travaille, mange, travaille puis rentre à la maison vers 18 h00 soit une moyenne 78 km par jour pour aller travailler pendant 5 jours par semaine (390 km).
Maman travaille dans une autre ville. Elle part tous les jours à la même heure que papa mais dans le sens opposé. Elle fait 60 km aller retour. Avec une moyenne de 5 fois par semaine sans compter les astreintes (300 km par semaine). Chacun a sa voiture, donc deux assurances à payer, deux usures …
Les filles ne vont pas toutes au même endroit. La grande prend le bus pour aller au collège. Les deux plus jeunes ont encore la chance d’avoir une école dans le village et peuvent encore se déplacer à pied. Les repas sont servis à la cantine.
Le bus est payé par le conseil départemental, mais il y a tout de même émission de carbone. Le collège est à 12 km ce qui donne 120 km par semaine pour étudier.
Le samedi ce sont les activités : on ajoute 20 km pour la grande, 30 km pour la seconde et 60 km pour la dernière. On en profite pour faire les courses et pour aller à la médiathèque.
Parfois la famille fait une sortie cinéma, va voir des amis, fait des dépôts à la déchetterie, … on partira sur un forfait de 100 km par semaine.
Le tableau va résumer les dépenses en carbone et en argent au niveau de l’essence en intégrant le bus de la grande fille (sans prendre en compte les coûts d’usure, d’assurance, de réparation des voitures,…)
En plus des dépenses monétaires et carbonées, il faudrait aussi estimer le temps que représente l’ensemble des trajets pour connaitre l’amputation sur le temps de vie des personnes et, au final sur la qualité de vie.
On voit aussi que pour absorber la consommation de carbone de la famille sur 1 an il faut environ 1,20 hectares de forêt. (calcul fait à partir d’une moyenne des données d’absorption)
Même si le calcul reste estimatif, on voit bien que « habiter » à la campagne a un coût au niveau des transports, de la dépense de carbone et du temps de vie.
3-Le coût de la construction, l’argument de papa
Continuons l’exemple lorrain. Admettons un prix du terrain de 128 euros /m² pour le lotissement à 30 km de Metz. Actuellement la demande se fait autour de parcelles de 550 m².
Le prix d’une parcelle devrait être de 70 400 euros. Admettons que pour loger la famille de 5 personnes, on arrive à construire une maison à 240 000 euros clef en main
On a un coût de la construction de 310 400 euros dans le village.
Si on construit à Metz avec un prix du terrain de 165 euros/m² et en gardant la même maison on a un coût de 330 750 euros soit une différence de 20 350 euros.
En considérant que les prix n’évoluent pas il faudrait entre 5 et 6 ans à la famille pour rentabiliser la différence entre les deux terrains à la condition que les parents travaillent dans la même ville.
Il faudrait pousser la réflexion en intégrant le prix de l’énergie pour se chauffer, le coût des taxes, …
On pourrait alors penser qu’il devient plus rentable d’habiter en ville qu’à la campagne au bout de presque 6 ou 7 ans.
4-Habiter le territoire.
Ce qui nous amène à une nouvelle idée : l’évolution de la fonction des villages. Le caractère bucolique du village qui est l’atout charme pour maman.
Aujourd’hui nous habitons en Lorraine, un territoire avec un maillage du territoire très construit. Il y a les villes et les villages. Chacun avec un territoire bien défini. Bien évidemment, pour l’analyse, nous resterons sur les villages.
Un village lorrain fonctionne toujours sur le même schéma. Un finage qui regroupe plusieurs terroirs apportant une diversité de ressources.
Au centre il y a les habitations, regroupées et souvent collées les unes aux autres pour éviter de gaspiller des surfaces et peut être d’avoir une défense commune face à la météo. Autour du village, des villages rues, il y a le premier cercle de culture, les potagers, les animaux de basse-cour et les vergers, puis un cercle de culture et d’élevage s’organisant suivant la richesse des terres et l’altimétrie, et enfin à l’extrémité sur les zones les plus hautes, les bois et forêts.
Le village traditionnel a pour fonction l’exploitation des ressources du finage. Tous les habitants y participent pour survivre, avec une hiérarchie sociale.
Ce schéma traditionnel a été bouleversé à partir du XIXème siècle et connaît son apothéose après la seconde guerre mondiale. L’industrialisation transforme le paysage des campagnes et la fonction des villages. On arrive à augmenter les rendements d’une manière industrielle, on se mécanise, on a besoin de moins de bras. Les exploitations agricoles évoluent. Les villages perdent de la population au profit des villes.
Mais à partir des années 1970, c’est le retour à la campagne. Le village a perdu sa fonction productive et est devenu une zone résidentielle. On connaît alors une croissance anarchique des lotissements se coupant de l’habitat traditionnel. On assiste à une dépense irrationnelle de l’énergie, des matériaux et du territoire.